2005, Libération fait face à une énième crise financière. Pour sauver le journal, Serge July, rédacteur en chef et cofondateur, convainc ses équipes de laisser entrer Édouard de Rothschild dans les capitaux du quotidien. En échange, celui-ci exigera son départ de Libé.
2006. Dans la salle du conseil d’administration, l’atmosphère est lourde. Aucun des rédacteurs ne sait comment faire face à cette décision. Serge July pose sur la grande table au centre de la pièce sa démission du journal qu’il a fondé, trente ans auparavant, avec son célèbre collègue, Jean-Paul Sartre. Le moment est douloureux pour ce mythe du journalisme écrit, mais c’est sans regret qu’il part “pour que vive Libération“.
Un an plus tôt seulement, Libé traverse l’une des multiples crises financières qui ont façonné l’histoire du journal. Mais cette fois-ci, le maoïste Serge July a convaincu ses troupes de laisser entrer la quintessence du capitalisme dans les capitaux du journal : l’héritier Édouard de Rothschild et sa fortune. Concessions valent mieux qu’abandon.
Pour remettre à flot le journal, Édouard de Rothschild fait pression pour édulcorer la ligne éditoriale. Finies les positions d’extrême-gauche ou trop choquantes. Les journalistes craignent pour leur liberté et une série de grèves éclate. Mais dans le même temps, le nouveau maître des finances estime qu’il n’a pas assez de poids dans la hiérarchie, encore relativement horizontal par rapport aux autres rédactions de cette ampleur. Il n’en a pas pour son argent, estime-t-il.
Sauver Libé contre Serge July
2006. Libération est déclaré en cessation de paiement. Édouard de Rothschild accepte de remettre de l’argent dans l’entreprise à une condition : le départ de Serge July, fondateur et capitaine historique du navire Libé et de Louis Dreyfus. Chose voulue, chose faite le 30 juin 2006. Serge July publie un papier dans le quotidien qu’il a fait vivre durant 30 années, des débuts maoïstes et post-mai-68 à la grave crise financière de 1981 où les pleins pouvoirs lui seront donné par ses journalistes. Il annonce alors : “Je quitte Libération, parce que c’est la dernière chose que je peux faire pour que vivent cette entreprise et cette équipe qui, au fil des années, auront créé et édité l’un des plus beaux quotidiens écrits et visuels du monde, certains jours le plus beau de tous”.
Je pars pour que vive Libération
Serge July
“Je le fais, à la demande d’Édouard de Rothschild, actionnaire de référence de la société éditrice de Libération. Nous avions un désaccord de fond sur la recapitalisation du journal. Il a été tranché par mon départ et celui de Louis Dreyfus, le directeur général délégué. Ce qui m’a conduit jeudi matin au cours du conseil d’administration de la société à démissionner de tous mes mandats. Je pars pour que vive Libération.”