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Crise migratoire : quand les Unes font débat

Le 24 novembre dernier, 27 migrants prêts à rejoindre l’Angleterre meurent lors d’un naufrage au large de Calais. Le traitement médiatique du drame a alors fait débat. Depuis des années, la crise migratoire reprise par les médias français met en avant l’importance de la ligne éditoriale.

Tous les journaux nationaux ont traité du naufrage qui a causé la mort de 27 migrants, le naufrage le plus meurtrier en Manche. Pour les médias, une question est simple : comment traité ce drame ? Selon la position politique de chaque journal, les titres et Unes varient. Ces différences ont amené les internautes à comparer le traitement médiatique de l’événement, un traitement qui a parfois créé un débat sans fin.

L’artiste XVALA devant un graffiti de Banksy représentant Steve Jobs sur un mur de Calais © The i-i, Wikimedia Commons

Que doit composer un titre pour ce genre d’événement ? Chez les principaux journaux français, le nombre de morts ainsi que les termes « migrants » et « naufrage » sont mis en avant. Mais au fur et à mesure des heures, les titres changement. Le nombre et l’angle se modifient. C’est principalement les réactions des politiques qui sont recherchées. Réunion de crise organisée par Emmanuel Macron, Gérald Darmanin se rend sur place, un tweet de condoléances de Jean Castex, la réaction anglaise avec Boris Johnson… Les articles sont alors mis à jour selon les dernières informations mises à jour. Mais le lendemain, les papiers doivent sortir. Comment un drame pareil s’insère alors dans les Unes ?

C’est là qu’apparaît une discorde sur les réseaux sociaux. Thomas Legrand, éditorialiste à France Inter, met en face-à-face la Une du Figaro et du Parisien. À la Une du dernier, le grand titre est réservé au naufrage : « Migrants : Tragédie au large de Calais ». Au Figaro, priorité à l’Europe qui « se divise la protection de ses frontières ». Les « Vingt-sept migrants [qui] se sont noyés en tentant de traverser la Manche » ont le droit à un encadré, près de la légalisation du cannabis en Allemagne. Pour Thomas Legrand, ce sont « deux façons de titrer, deux façons de voir le monde ».

Crise migratoire et politique : des médias français influencés

Pour le chroniqueur Le Soir, Jean-Paul Marthoz, le traitement médiatique français sur la crise migratoire a toujours souffert de « quelques insuffisances » : « Le journalisme ne peut prétendre assumer le rôle qui, idéalement, est le sien, s’il ne couvre pas la normalité et le quotidien des communautés immigrées. Trop souvent, en effet, l’immigré ne surgit sur la scène de l’information que dans un statut de victime ou de coupable. En d’autres termes, il est presque toujours ‘un problème’. [ … ] C’est au niveau de la politique rédactionnelle que presque tout se joue ». Depuis le début de la crise migratoire en Europe, les médias français publient des articles sur le sujet qui traite de la situation comme un « problème difficile à régler ».

« C’est au niveau de la politique rédactionnelle que presque tout se joue »

Jean-Paul Marthoz

Quelques années auparavant, un drame similaire se déroule le 3 octobre 2013, le naufrage de Lampedusa. Ce sont 366 migrants sur 500 à bord qui trouvent la mort dans un chalutier parti de Tripoli en Libye en direction de l’Italie. L’événement a un retentissement international et la presse française s’empare du sujet pour leur Une. À La Croix, la Une s’approprie, comme chez Le Parisien, la rhétorique de la « tragédie ». Du côté du Monde Week-end, on accuse « l’indifférence coupable de l’Europe ». Dans les deux Unes, la même photographie est utilisée, celle tirée d’une vidéo prise par des gardes-côtes italiens. Mais les deux Unes sont publiées à quelques jours d’intervalle. Alors que La Croix publie au moment du drame, Le Monde expose sa Une quelques jours après : l’angle diffère mais la réaction politique reste une priorité pour Le Monde. Du côté du Figaro, une Une familière où le drame est traité avec une réaction du Pape près du sujet sur le cholestérol et bien en-dessous du sujet politique sur le PS. L’image prend tout de même de la place sur la Une et dégage une symbolique forte avec un migrant sauvé de la mer. 

« La Jungle de Calais » : une jungle médiatique

La Jungle de Calais, correspondant  aux camps de migrants installés autour de Calais, est devenu un véritable objet médiatique à utiliser pour les journaux. Pour les photojournalistes, les migrants deviennent des modèles à photographier. Les clichés rappellent la photo du petit Aylan, l’enfant syrien mort sur une place de Turquie.

La Jungle de Calais est devenu le sujet médiatique préféré de la presse française alors que la crise migratoire atteignant son pic en 2015. Et à moins de se rendre sur place, créant des relations conflictuelles entre migrants et journalistes, les bénévoles présents sont devenues les principales sources d’information. 

Réseaux sociaux : naissance du témoignage

Depuis l’avènement des réseaux sociaux, les témoignes se multiplient et diffèrent des articles traitant des motifs et conséquences. Avec la barrière de la langue et l’immédiateté de l’information, les médias relaient un discours fabriqué par des tiers, et non pas par les concernés. Ces récits sont maintenant devenus des sources essentielles pour les journalistes. Le making of du journal en ligne Le Monde intitulé « Le voyage d’une migrante syrienne à travers son fils WhatsApp » le prouve : la conversation met en scène deux migrants syriens en route pour l’Allemagne qui s’échangent des messages WhatsApp sur l’avancée de leur périple. 

Le traitement médiatique de la crise migratoire en France n’est pas en reste, et le naufrage récent à Calais en est la preuve. Chaque journal à la ligne éditoriale différente traitera alors différemment la crise migratoire. Au fil des heures, une « tragédie » devient rapidement plus factuelle et les réactions politiques deviennent l’angle préféré à évoquer. Si quelques journaux continuent de mettre l’accent sur le drame humain, la plupart se concentre davantage sur un problème politique difficile à régler.

Chloé Gomes
Chloé Gomes
Co-fondatrice, responsable de la publication et cheffe de rubrique "Société". Ancienne secrétaire générale de l'association (2021-2022)

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