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Les médias, tribunal de l’affaire du sang contaminé

L’affaire éclate le 25 avril 1991 dans l’hebdomadaire L’événement du Jeudi dans un article signé par Anne-Marie Casteret. Elle prouve que le Centre national de transfusion sanguine (CNTS) a distribué entre 1984 et 1985, des poches de sang contaminées par le VIH en toute connaissance de cause. C’est le départ d’un scandale long de 12 ans où les médias, particulièrement la télévision, tiendront le rôle de tribunal populaire où se succéderont les mis en cause.

Image : © Belova59 / Pixabay

Les médias ont pris une place centrale dans l’affaire du sang contaminé étant donné la popularité et le rang politique des mis en cause. Enquête sur une saga judiciaire diffusée par tous les titres de presse et journaux télévisés sur plus de 12 ans, entre 1991 et 2003. Le cœur de l’affaire est un scandale politique et sanitaire. Dans son article, Anne-Marie Casteret rend public le rapport de la réunion secrète du 29 mai 1985 du CNTS. Le document prouve que des poches de sang et des produits dérivés de ces poches contaminés par le VIH ont été sciemment distribués à des patients atteints d’hémophilie, qui doivent recevoir ces traitements plusieurs fois par semaine. Le document est rapidement relayé par les grands journaux comme Libération ou Le Canard Enchaîné et même par l’émission Le droit de savoir sur TF1. Les raisons sont économiques. Il faut écouler les 34 millions de francs de stocks du pays. Pas question d’importer du sang et de jeter les produits qui n’ont pas été chauffés, donc n’ont pas été décontaminés, par manque de moyens techniques pour le faire. L’affaire prend une telle ampleur telle que la moitié des hémophiles, soit 2000 patients, sont devenus séropositifs dans une France qui découvre avec stupeur cette maladie qui sonne souvent le glas des contaminés. 

Le coup médiatique résonne mais la justice ne s’empare de l’affaire qu’à partir de 1992. Quatre médecins seront appelés à comparaître dont Michel Carretta, directeur du CNTS au moment des faits. Le tribunal médiatique a-t-il plus de valeur que celui de la justice ? Ce qui est sûr, c’est que Michel Carretta s’attardera d’abord en octobre 1991 sur le plateau de M. Elkabbach. Face aux Français, il est son propre avocat, il se défend. Il avait démissionné au mois de juin, percevant trois millions de francs d’indemnité. Plaide-t-il coupable en confiant qu’il « reconnaît des erreurs et je me reconnais responsable » ? Non, il ajoute « qu’au vu des recherches en 1985, personne ne pouvait prendre une décision pour le chauffage et le dépistage ». Il s’engouffre dans une brèche scientifique. La maladie du SIDA est étudiée depuis le début des années 1985 mais le virus du VIH a mis plus de temps à être identifié.Il est condamné à quatre ans de prison. Très rapidement, les médecins les plus proches de l’affaire ne sont plus les seuls à être inquiétés. Trois ministres doivent s’expliquer.

Du scandale sanitaire à l’affaire politique dans les médias

Le scandale est aussi financier. En parallèle, L’Express met en lumière l’état des comptes du CNTS. Son bilan affiche un déficit pour la seule année 1990 de 78 millions de francs pour un total de 200 millions. Le quotidien met en cause les salaires des membres de la direction qui sont de 500 à 800 000 francs annuels avec des frais de fonctionnement exorbitants, de l’ordre de 38 millions de francs en six mois. Les économies de bouts de chandelle qui ont condamné des milliers de malades passent mal au regard de cette gestion catastrophique. Au cours de l’enquête médiatique et judiciaire, des politiques sont mis en cause, notamment plusieurs ministres en exercice au moment de l’affaire. Une affaire politique se greffe donc aux scandales sanitaire et financier. C’est celui qui aura le plus de relais médiatique.

« Je me sens tout à fait responsable pour autant je ne me sens pas coupable. »

Georgina Dufoix dans l’émission 7/7 sur TF1 le 4 novembre 1991
Georgina Dufoix dans les jardins de l’Élysée le 14 juillet 1990. © Wikimedia Commons / Sdeliens

Les noms de personnalités publiques ne tardent pas à apparaître. L’une des premières est  Georgina Dufoix, ancienne ministre des Affaires sociales. Plaide-t-elle non coupable le 31 janvier 1992 quand au cours de l’émission 7/7 elle déclare qu’elle « sent tout à fait responsable pour autant [elle] ne se sent pas coupable » ? Les mises en examen délivrées par la justice des tribunaux ne sont toujours pas tombées mais il y a tout de même urgence. Homicide volontaire. Le jury des médias a rendu son verdict avant celui des tribunaux. Il faut passer par les médias pour démontrer son innocence devant une France aussi choquée du scandale que de cette nouvelle maladie qui fait des ravages. Le procès a démarré depuis six ans quand c’est au tour de Laurent Fabius, ancien Premier ministre, d’être poursuivi pour la mort de trois patients infectés et pour la contamination de deux malades. Il aurait été mis au courant du manque de tests de dépistage et n’aurait rien mis en place pour éviter le pire pour des raisons d’économies. Les médias l’avaient déjà condamné à perpétuité. Son nom reste encore lié à cette affaire.

Margaux Verdonckt
Margaux Verdonckt
Co-fondatrice, cheffe de rubrique "Écologie" et responsable de la communication de Soixante Pour Cent.

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