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Feu Elizabeth II : les médias étaient-ils prêts ?

Le jeudi 8 septembre, à 19h30 heure française, un communiqué de Buckingham annonçait le décès de la reine d’Angleterre, Elizabeth II, après 70 longues années de règne. Face à cette nouvelle qui a suspendu les programmes du monde entier, les médias étaient-ils prêts à l’annoncer ?

Jeudi 8 septembre. 15h07 – heure française. Une correspondante journaliste de la BBC tweete : « La reine Elizabeth II est décédée à l’âge de 96 ans » en affirmant que sa source provient directement de Buckingham. Plus d’une heure après, 16h19. Le tweet est supprimé. Un autre apparaît : « J’ai tweeté en disant qu’il y avait eu une annonce au sujet de la mort de la reine. C’est faux, il n’y a eu aucune annonce, et pour cela, j’ai supprimé le tweet. Je m’en excuse ». Plus de trois heures après, dans les alentours de 19h30, les notifications des médias fusent : l’annonce est – cette fois-ci – officielle. La reine d’Angleterre, Elizabeth II, est morte à l’âge de 96 ans.

https://twitter.com/arshdchaudhary/status/1567933153460817922?s=20&t=VaMHdezda5wiBvNMYdPgqg
Yalda Hakim s’excuse de son tweet annonçant faussement la mort de la reine. Un internaute reposte le tweet qu’elle a supprimé.

Revenons à 15h, le même jour. Le tweet plus tard supprimé de Yalda Hakim annonçant le décès est publié. Au même moment, chaque membre de la famille royale annule ses plans et se rend rapidement à Balmoral en Écosse, au chevet de la reine. Le site de la BBC s’assombrit. Les présentateurs de la chaîne anglaise se sont vêtus de noir et les programmes habituels du média sont interrompus jusqu’à 18h. L’annonce devient officielle lors de la publication du communiqué de Buckingham à 19h30 : « La reine est paisiblement décédée à Balmoral cet après-midi ». Cela faisait alors plusieurs heures que le plan « Unicorn » était lancé – remplaçant alors le protocole initial « London Bridge » puisque la reine s’est éteinte à Balmoral et non à Londres.

Et si la BBC savait ?

Liz Truss, Première ministre du pays, est informée aux environs de 16h30. Selon le protocole, elle est la première personne politique à être informée par le secrétaire particulier de la reine. Si Charles et Anne ont sans doute pu assister aux derniers instants de la défunte reine, ce n’est sans doute pas le cas de ses autres fils, Andrew et Edward, et de son petit-fils, le prince William. Ce dernier a franchi les grilles du château qu’après 17 heures. Mais l’annonce ne pouvait être partagée qu’une fois toute la famille réunit, prête à se mettre d’accord sur la préparation des funérailles et le contenu du communiqué officiel à partager au monde entier.

Communiqué officiel de Buckigham à la suite du décès de la reine Elizabeth II

Pendant un moment, la reine sera partie sans que nous le sachions

The Guardian

Au moment où le valet vêtu de deuil sort du Buckingham Palace pour fixer sur les grilles un panneau noir confirmant le décès, le même texte sur fond noir s’affiche en Une du site internet et le communiqué est publié. Au même moment, la BBC interrompt tous ses programmes. Le présentateur est installé, costume et cravate noirs, le prompteur est prêt, les fiches sont prêtes.

Une sur le site web de Buckigham

« Pendant un moment, la reine sera partie sans que nous le sachions » écrivait le Guardian. Et pourtant, fût un temps où la BBC était la première tenue au courant du décès d’un membre de la famille royale. Aujourd’hui, son monopole sur l’information anglaise a disparu. Les médias – anglais et internationaux – ont annoncé la nouvelle au même moment, malgré cette supposée erreur de la correspondante Yalda Hakim et les quelques indices qui ne sont pas passés inaperçus sur la toile.

Le décès d’Elizabeth II, un événement préparé depuis des années

Et alors que l’annonce est officielle depuis quelques secondes, les nécrologies jaillissent. Des articles-fleuves sont rapidement publiés, déjà prêts depuis des années. Au Guardian, le rédacteur en chef adjoint avait déjà une liste d’histoires prêtes à sortir accrochée à son mur. Quant au Times, il aurait depuis des années préparé plus de onze jours de couverture médiatique pour l’événement. Côté Sky News et ITN, des experts de la famille royale avait déjà signé des contrats pour intervenir exclusivement sur ses chaînes pour les éditions spéciales.

https://www.youtube.com/watch?v=_XjzFK0sw5w&t=7s

Si vous entendez un jour Haunted Dancehall (Nursery Remix) de Sabres Paradise, allumez la télé. Quelque chose de terrible vient d’arriver

Chris Price, producteur radio à la BBC

Les stations de radio avaient également prévu le moment. Les radios britanniques ont toujours eu deux playlists dans leurs archives souvent mises à jour : « Mood 2 » (triste) et « Mood 1 » (beaucoup plus triste). Les morceaux étaient prêts à être lancés dans les moments de deuil soudain. Chris Price, un producteur de BBC radio, avouait au Huffington Post en 2011 : « Si vous entendez un jour Haunted Dancehall (Nursery Remix) de Sabres Paradise en pleine journée sur la station BBC, allumez la télé. Quelque chose de terrible vient d’arriver ». Le 8 octobre, c’est Eugene d’Arlo Parks qui se coupe en plein milieu sur la station de radio britannique pour annoncer le décès de la reine. Un morceau tout autant mélancolique que celle citée par Chris Price.

Tout n’a pourtant pas toujours été parfait lors de ce type d’annonce – malgré les entraînements. Le 30 mars 2002, la reine consort et mère d’Elizabeth II, Elizabeth Bowes-Lyon, décède à l’âge de 101 ans. À la radio, des « lumières nécrologiques » étaient prévues pour prévenir les équipes d’un décès afin d’interrompre les programmes. Pourtant, le 30 mars 2002, ces lumières ne sont jamais apparues. Et pour cause. La personne désignée n’avait tout simplement pas correctement appuyé sur le bouton.

Le présentateur de l’époque, Peter Sissons, avait, quant à lui, été critiqué pour avoir porté une cravate marron – bien éloignée du protocole qui demande aux présentateurs de porter un costume noir et une cravate de la même couleur. Sissons avait en réalité été victime d’un changement de politique de la BBC. Après les attaques du 11 septembre, la chaîne avait décidé de modérer sa couverture médiatique royale en réduisant le nombre de procédures nécrologiques de « catégorie 1 ». Quelques secondes avant d’être en direct, Sissons entendait dans son oreillette : « N’en fais pas trop. C’était une vieille femme qui devait bien partir un jour ou l’autre ». Pas de ça avec Elizabeth II. La « catégorie 1 » avait spécialement été créée pour elle. Le jeudi 8 septembre sur la BBC, le présentateur Huw Edwards est vêtu d’un costume noir et d’une cravate de la même couleur. Sa voix est lente et pleine d’émotions. Le protocole est suivi à la lettre.

La raison pour avoir tout préparé depuis des années venait de cette obsession d’être prêt pour trouver les mots qui correspondent le mieux à cet événement historique. Oui, les médias étaient prêts. Les journalistes, correspondants, les DJs dans les radios… Et si la BBC ne semble plus avoir le privilège de l’époque, rien n’est laissé au hasard – même pas le tweet de Yalda Hakim. L’emblématique média britannique a toujours été très proche de Buckingham – et de ses sources. Mais, nous aussi, nous étions prêts. Lorsque les programmes télévisés français se sont interrompus, les présentateurs et présentatrices sont apparus également vêtus de noir. Les invités était prêts, les correspondants à Balmoral et Londres également, le conducteur n’avait jamais été aussi précis. Sous l’influence du numérique et des réseaux sociaux, le monde l’avait senti venir.

Chloé Gomes
Chloé Gomes
Co-fondatrice, responsable de la publication et cheffe de rubrique "Société". Ancienne secrétaire générale de l'association (2021-2022)

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