Il avait accompagné les pauses-déjeuner de la France pendant 33 ans. Celui que l’on surnommait affectueusement « JPP » s’est éteint le 2 mars dernier. « Le père de Tom, Lou, Olivier et Julia est décédé des suites de son cancer du poumon » mercredi après-midi, a déclaré l’agent de son épouse, Nathalie Marquay-Pernaut, à l’AFP. Depuis, les hommages se multiplient pour saluer sa mémoire, une vedette du petit écran, l’homme du journal de 13 heures de TF1. Portrait.
Jean-Pierre Pernaut, c’est d’abord Amiens, dans la Somme. C’est ici qu’il nait le 8 avril 1950 d’une mère pharmacienne et d’un père directeur d’usine. C’est aussi Quevauvillers, une petite commune à l’est d’Amiens, où il y passe son enfance. Diplômé de l’École Supérieure de Journalisme (ESJ) à Lille en 1975, il intègre d’abord le quotidien régional Le Courrier picard en tant que stagiaire, puis la rédaction régionale Picardie de l’ORTF, où il présente le journal régional.
Mais Jean-Pierre Pernaut, c’est aussi – et surtout – TF1. Intégré à la rédaction de la première chaîne le jour de sa création, le 6 janvier 1975, il y présente le Journal de 20 heures jusqu’en 1978, avant de co-présenter le Journal de 13 heures aux côtés d’Yves Mourousi de 1978 à 1980, jusqu’à être nommé grand reporter au service économique de 1980 à 1982. Il a également été chef adjoint du service reportages de TF1 et rédacteur en chef de plusieurs émissions comme Le rendez-vous d’Annick ou le présentateur du journal des vacances durant les étés 1982 et 1983, et de Transcontinental de 1985 à 1986.
C’est finalement en 1988 que Patrick Le Lay, alors président-directeur général du groupe TF1, lui propose la présentation du Journal de 13 heures de la chaine, lui lançant – un peu hasardeux – « Si tu fais un bon journal, tu resteras peut-être vingt ans ! ». Une petite phrase aux allures de bonne blague, tout simplement « impensable » pour le jeune journaliste, qui ne quittera finalement le poste que 33 ans plus tard, le 18 décembre 2020.
Jean-Pierre Pernaut a habité le cœur de nos foyers. Durant trente ans, il a donné rendez-vous à 13 h aux Françaises et aux Français pour leur transmettre les dernières informations, mais aussi sa passion de la France, de nos régions, de notre patrimoine. Nous ne l’oublierons pas.
Emmanuel Macron, président de la République
Jean-Pierre Pernaut, l’homme qui a mis les régions au cœur de l’info
Fraichement nommé responsable du journal de la mi-journée, Jean-Pierre Pernaut choisit d’opérer un tournant stratégique pour la chaine : désormais, le JT de 13 heures sera celui des régions. Ligne éditoriale plus locale et nombreux correspondants en régions : l’idée est de se rapprocher des Français. Sa volonté ? Imposer un rendez-vous « moins institutionnel » et surtout « moins parisien », comme il l’a déclaré auprès de l’AFP il y a quelques années.
De fait, le Journal de 13 heures ne commence que très rarement par une information d’ordre international – sauf cas de force majeure. Une décision brièvement justifiée à l’hebdomadaire Télérama en 1998 : « Le journal de 13 h est le journal des Français, qui s’adresse en priorité aux Français et qui donne de l’information en priorité française. Vous voulez des nouvelles sur le Venezuela ? Regardez la chaîne vénézuelienne. Sur le Soudan ? Regardez les chaînes africaines ».
Un choix novateur, loin de faire l’unanimité. Le sémiologue François Jost voyait dans son Journal de 13 heures, « un certain populisme », ajoutant qu’ « on le voit comme quelqu’un de tourné vers la tradition, la province. Mais il promeut toujours, dans son discours, les intérêts du contribuable, du petit contre le grand, du provincial contre Paris. » Jean-Pierre Le Goff, sociologue, soutenait quant à lui que le succès du 13H de Jean-Pierre Pernaut répondait à « la crise d’identité » et à « la panne d’avenir » des Français, qui préfèreraient par conséquent se réfugier dans une vision idéalisée du village. Dans son livre La carte et le territoire paru en 2010, Michel Houellebecq célébrait la « tâche messianique » du journaliste « consistant à guider le téléspectateur terrorisé et stressé vers les régions idylliques d’une campagne préservée ». Parmi ces détracteurs, on citera enfin Raphaël Garrigos et Isabelle Roberts qui, dans Libération, moquent ce « JT en sabots crottés révérant les belles régions, les métiers oubliés et la maouche ardéchoise cuisinée comme grand-maman ».
Pas un hameau de notre pays ne lui était inconnu. Pas une tradition de nos terroirs ne lui était étrangère. La France des territoires perd cette voix familière et ce visage rassurant qui parlait si bien d’elle et savait si bien lui parler. Jean-Pierre Pernaut nous manque déjà.
Jean Castex, Premier Ministre
Populiste, peut-être, mais toujours de façon assumée. JPP défendait avec humour ses « remarques de bon sens » : « Si s’intéresser aux gens c’est être populiste, alors je suis populiste ». D’autant que ce pari régional s’avère gagnant, et il suffit de consulter les parts d’audience sur le créneau pour le constater. Le Journal de 13 heures de TF1 est tout simplement le leader de la pause-déjeuner : selon Médiamétrie, il est suivi chaque jour par six à sept millions de personnes. Un record européen, avec une part d’audience d’environ 45 %.
Jean-Pierre Pernaut, des polémiques sans langue de bois
Mais chaque homme traine ses casseroles, et JPP n’y fera pas exception. Le présentateur a aussi marqué les esprits par ses sorties de route souvent polémiques, mais toujours sans langue de bois.
Il y a d’abord ses coups de gueule relayés sur les réseaux sociaux, souvent même salués par les internautes. On pense notamment à ces moments où il a fustigé des décisions gouvernementales parfois peu compréhensibles en pleine pandémie mondiale. Le 24 avril 2020, alors que le confinement était venu toquer à la porte des Français à peine quelques semaines plus tôt, Jean-Pierre Pernaut, passablement irrité, dénonce : « Les masques interdits en pharmacie mais autorisés chez les buralistes, comme les fleuristes fermés pour le 1er mai mais les jardineries ouvertes, comme les cantines bientôt ouvertes mais les restaurants toujours fermés… on a du mal à comprendre tout ça. » Un peu plus tôt, au mois de mars, il avait déjà fustigé la gestion de la crise par le gouvernement : « On voit beaucoup d’Italiens avec des masques, c’est le B.A.-BA de la protection. Comme en Chine, on met des masques. En France, on nous dit toujours que c’est inutile, peut-être parce qu’on n’en a pas. »
Mais il y a aussi ses coups de gueule qui ne passent pas. Et parmi eux, certains lui ont même valu un rappel à l’ordre par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). En cause ? Une transition pour le moins hasardeuse entre un reportage sur les maraudes de la Croix-Rouge et un reportage sur les migrants en 2016 : « Plus de place pour les sans-abris mais, en même temps, des centres pour migrants continuent à ouvrir partout en France ». Des propos également condamnés par la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme.
Nombre d’autres dérapages resteront dans les annales : les « 60 jours de congés payés par an » des cheminots, l’administration qui « évidemment, ferme à 16h30 » ou encore sa colère contre les éoliennes qui « n’apporte[nt] rien [et] coûte[nt] une fortune […] ça ne peut pas marcher, ça ne fonctionne qu’un jour sur trois ».
Mais rien n’aura finalement entaché son image de vedette du petit écran : Jean-Pierre Pernaut reste l’une des personnalités masculines préférées des Français, selon le classement annuel du Journal du Dimanche. Des Français dont il était un peu « le miroir », comme l’a souligné son confrère de TF1 Jean-Pierre Foucault au micro de RTL, le mercredi 2 mars au soir. Un visage familier, qui au-delà des divergences, faisait un peu « partie de la famille ».
C’est une immense tristesse. C’était un journaliste extraordinaire qui a marqué cette maison. […] Il avait donné une image de JT de 13 Heures assez unique en omettant la politique. […] Il avait une passion pour la province qui l’animait. C’était un homme du Nord. On se retrouvait tous dans les journaux de Jean-Pierre. Tous les Français pensaient qu’il y avait un petit bout de France proche de chez eux que Jean-Pierre aimait.
Gilles Pélisson, PDG du Groupe TF1
Depuis ses adieux aux habitués du 13 heures, Jean-Pierre Pernaut n’avait pas vraiment quitté le petit écran. Il animait la chaîne numérique Jean-Pierre Pernaut TV – la « JPP TV », le nouveau « Netflix des régions » comme il aimait la décrire, et une émission hebdomadaire sur LCI, Jean-Pierre et vous, avait également fait quelques apparitions au cinéma, ou encore participé par ailleurs à de nombreuses compétitions automobiles. Mais mercredi 2 mars 2022, la télévision a perdu l’un de ses monuments.