Mercredi dernier, trois journalistes de Soixante Pour Cent ont interviewé le journaliste faits divers, Thibault Raisse, co-auteur de L’enquête Xavier Dupont de Ligonnès (XDDL) à succès de Society parue en deux parties, les 23 juillet et 6 août 2021. Retour sur cet échange.
Tout commence le 21 avril 2011, lors de la sixième inspection de police au domicile des Ligonnès. Une jeune lieutenante de police s’étonne sous la terrasse d’un amoncellement d’outils de jardinage ou encore d’une gamelle pour chien « bizarrement glissée sous une planche de bois ». Ils décident alors de creuser et découvrent très vite, cinq corps – ceux d’Arthur, Benoît, Anne, Thomas, les quatre enfants de XDDL, et sa femme, Agnès. A côté d’eux, le corps de leurs deux chiens. Il n’en manque alors plus qu’un : le père de famille, Xavier Dupont de Ligonnès. Très vite, sa recherche va être la priorité de la police. Le 15 avril, il disparaît complètement des radars. Et le 21 avril seulement, la police commence à le rechercher. Comme on peut le lire dans l’enquête de Society : « [la police] se rend compte qu’ils ont une semaine de retard ».
« Sur tous les documents épluchés, 10% nous ont été utiles à peu près »
Thibault Raisse, journaliste
Un projet, 4 enquêteurs
En octobre 2019, Guy Joao est interpellé à sa sortie de l’avion par la police écossaise car il est pris pour le fugitif français le plus recherché, XDDL. Dans les coulisses de Society, cet événement en plus de ne pas être pris au sérieux, semble lunaire. Par contre, l’envie d’écrire un article sur cette affaire qui passionne la France entière, émerge. Le journaliste Pierre Boisson décide alors de former une équipe d’enquêteurs avec deux auteurs de fiction, Maxime Chamoux et Sylvain Gouverneur. Mais il manque à l’équipe un journaliste spécialiste de l’affaire. Thibault Raisse, ayant couvert l’affaire XDDL depuis ses débuts pour le Parisien est très vite une évidence. Une fois l’équipe formée et l’enquête commencée, l’idée d’un article court réalisé en 48h s’évapore et l’envie d’une enquête fleuve voit le jour.
« L’avantage d’être un journaliste – et non un policier – c’est qu’on a le droit d’aller sonner chez des gens et leur poser des questions »
Thibault Raisse, journaliste
Reprendre tout à zéro
Les quatre enquêteurs se répartissent alors différents thèmes à explorer. Thibault, lui, s’occupe de la sphère familiale de XDDL et de l’Église de Philadelphie – groupe sectaire dont une partie de la famille de XDDL fait partie. Chacun se met alors à lire et déchiffrer tous les documents relatifs au thème : « sur tout les documents épluchés, 10% nous ont été utiles à peu près. Mais on les a tous lus afin de dresser une enquête irréprochable. Tout ce qui est écrit dans le livre est vrai. Nous n’avons rien inventé. » Mais l’équipe de Society n’est pas complètement repartit à zéro. Ils ont eu accès aux enquêtes policières antérieures. Néanmoins, ils sont allés plus loin : « l’avantage d’être un journaliste, et non un policier, c’est qu’on a le droit d’aller sonner chez des gens, et leur poser des questions. Un policier, lui, doit respecter une procédure », nous dit Thibault. C’est grâce à cet avantage journalistique – et avec du culot – que l’équipe de Society a eu des témoignages inédits qui les ont aidés à dresser l’enquête. Par exemple, lors de leurs recherches, ils ont appris que les deux amis d’enfance de XDDL, Michel Rétif et Emmanuel Teneur étaient morts. Et la police l’ignorait. Pourtant ces deux décès venaient « enterrer l’espérance que les amis, qui étaient aussi les suspects, qui étaient aussi les victimes, livrent un dernier secret, une nouvelle piste. »
« C’est à toi de tes poser tes limites déontologiques. La Charte de Munich ne te les donne pas »
Thibault Raisse, journaliste
La passion pour le fait divers
« Personnellement, le personnage de XDDL ne me passionne pas beaucoup. Ce que j’aime dans cette affaire, et dans beaucoup de faits divers, c’est qu’elle traduit quelque chose sur la société. L’affaire XDDL ce n’est pas une affaire criminelle, c’est la déchéance d’une famille aristocratique versaillaise, c’est l’envie du rêve américain, c’est l’espoir de faire fortune avec les nouvelles technologies, c’est l’échec sentimental d’une femme de 49 ans. C’est tout ça l’affaire XDDL ». Ce sont tous ces faits qui sont retracés dans l’enquête de Society. Elle n’est pas une énième énumération des faits sordides de l’affaire. C’est une enquête de 13 chapitres qui s’apparente presque à un roman – on reconnait d’ailleurs la patte des deux enquêteurs-auteurs – qui tentent de donner les clefs de compréhension du personnage de XDDL et son entourage. C’est d’ailleurs tout cet entourage qui est mis en valeur dans le livre : amis, famille ont été interrogé. Selon Thibault, interroger les proches a sûrement était la tâche la plus difficile. Certains souhaitent tout simplement tourner la page, d’autres ne veulent pas se confier. Vient alors très vite la question de la déontologie : dois-je insister ? dois-je utiliser certains témoignages même si la personne ne souhaitait pas ? Thibault, lui, s’est promis de ne relancer qu’une seule fois une personne en cas de refus. Pour le reste, il pense : « c’est à toi de tes poser tes limites déontologiques. La Charte de Munich ne te les donne pas ».
Où en est l’enquête ?
Si les deux numéros de l’enquête de Society ont été vendus à des centaines de milliers d’exemplaires, l’idée d’un troisième numéro n’est pas d’actualité. Selon Thibault, ils ont « fait le tour ». La rédaction d’un épilogue ne pourrait se faire qu’après avoir retrouvé, mort ou vivant, XDDL. Néanmoins, du côté policier, deux personnes, une à Nantes, l’autre à Paris, sont encore « en veille » sur l’affaire – au moindre signalement, l’enquête continue. Du côté Society, même situation. Les journalistes se tiennent prêts à ré-enquêter en cas de nouveaux signalements. Si les derniers mots de l’enquête Society, évoquant « une opération policière inédite à l’étranger prévue fin 2020 » sont une lueur d’espoir, pour l’instant, l’enquête stagne. Ce qui sûr, c’est que cette affaire divise encore : policiers comme journalistes, 50% le croit mort, 50% le croit en cavale.