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Un violeur a-t-il sa place en Une de Libération ?

Le 8 mars 2021, journée internationale des droits des femmes, Libération publie en Une la lettre d’un violeur reconnaissant ses faits. Chez les féministes, le sujet heurte : choix de la date de publication, contenu révoltant et inapproprié, manque d’analyse sont reprochés au journal. Retour sur cette polémique.

Elle s’appelle Alma. Elle étudiait les sciences politiques à l’Institut d’études politiques (IEP) de Bordeaux. Mais en 2019, son petit ami de l’époque, Samuel, la viole. Traumatisée, elle lance rapidement une vague de libération de la parole dans les IEP. Un an après les faits, Samuel écrit deux lettres où il reconnait les faits : une pour sa victime qui restera privée, une autre pour le journal Libération. Intitulée « J’ai violé. Vous violez. Nous violons », c’est cette dernière qui a été publiée. Il y décrit les déterminants personnels, culturels et sociaux qui ont participé à la commission de son acte : avoir violé Alma. 

Une longue réflexion en amont

Cette lettre a été publiée avec un aparté écrit par la rédaction de Libération. Il y est expliqué tout le processus et contexte de dialogue avec Alma et Samuel afin d’établir les conditions de publication et leurs consentements. Il est notamment convenu que sa lettre sera anonymisée, mais qu’en cas d’enquêtes judiciaires, son identité sera communiquée. 

Libération reconnait également dans cet aparté qu’il s’agit d’un texte « fort et dérangeant » mais pense que « sa réflexion vise à nous interpeller, à nous sortir de la zone de confort consistant à considérer que le violeur, le monstre, c’est l’autre. Une condition nécessaire mais pas suffisante pour entrer de façon plus éclairée sur le terrain de la prévention du viol. La force intellectuelle, la fougue de ce texte peuvent aussi susciter le rejet et jouer en sa défaveur. Mais c’est un fait : il apporte du matériau humain à une question douloureuse, complexe et taboue ». Libération insiste également qu’ « expliquer n’est pas excuser ». 

Des féministes vent debout

Malgré le propos introductif de la rédaction, cela n’a pas empêché les vives reproches parmi les féministes. Nombreuses sont les remontrances. Tout d’abord, c’est le choix de la date qui est pointée du doigt. Le 8 mars. Journée internationale des droits des femmes. Mélusine, militante féministe se révolte « donc on en est là, la veille du 8 mars, à lire un violeur se confesser en écriture inclusive en Une d’un quotidien national ». Critique similaire pour Lola Lafon, écrivaine et chanteuse « une pleine page, c’est le pouvoir ».

Par ailleurs, nombreuses sont les femmes qui soulignent la violence du témoignage pour les autres victimes et s’insurgent contre les mots du violeur : déresponsabilisation, culture du viol sont leurs mots. Carole de Haas, membre du collectif féministe @noustoutes dénonce aussi une « forme de symétrie entre l’auteur et la victime ».

« Il faut parfois accepter d’entendre des arguments qu’on n’a pas envie d’entendre pour comprendre comment on peut en arriver à violer sa compagne »

Julia Courvoisier, avocate au bareau de paris

Qu’en pense Alma  ? 

Entourée de toutes ces paroles, on peut se demander ce qu’en pense la première concernée : Alma. Pour elle, il est clair que cela « est étrange de voir tout le monde donner un avis sur [son] viol ». Mais elle rappelle combien cette publication a été voulue : « voir ce qui m’est arrivé écrit noir sur blanc, pour celui qui m’a violée reconnaître publiquement ce qu’il m’avait fait a fait retomber toute la pression que j’avais depuis dix jours. J’attendais beaucoup de cet article, je voulais que cette lettre soit publiée pour faire réagir, car c’est un débat essentiel ». 

Même si elle regrette qu’on n’ait pas mis davantage les femmes en avant sur la Une et qu’elle trouve également le choix de la date mal choisie, elle maintient sa volonté : « je me mets à la place des victimes qui l’ont découverte le 8 mars, je comprends que ça ait pu mettre en colère de nombreuses personnes, que ça ne donne pas envie de lire. Mais je vois aussi que cette lettre a tapé là où ça fait mal et j’espère que ça va amener le débat ». 

Provoquer le débat, avoir des explications, cela est également défendu par Julia Courvoisier, avocate au barreau de Paris amenée à défendre régulièrement des auteurs de viols et de violences notamment conjugaux : « il faut parfois accepter d’entendre des arguments qu’on n’a pas envie d’entendre pour comprendre comment on peut en arriver à violer sa compagne, à penser avoir tous les droits sur elle, en justice comme dans la société. On sait que le problème ne vient pas des femmes, ce sont essentiellement les hommes qui violent, d’où la nécessité de les entendre ».  Comme Libération, elle défend une « culture de l’explication, et non de l’excuse ». 

« Il existe des études sur les violeurs, même s’il en faudrait davantage, qui permettent de savoir qui il sont et comment ils s’expriment. Pas besoin de leur donner la parole »

Valérie Rey-Robert, militante, féministe et autrice

Une légitimité ? 

« Tout ce qui a été écrit par les hommes sur les femmes doit être suspect, car ils sont à la fois juge et partie » disait Poulain de la Barre, philosophe français du XVII siècle. Beaucoup de féministes comme Valérie Rey-Robert – militante, féministe et autrice – pense que la parole des violeurs n’a tout simplement pas de place : « il existe des études sur les violeurs, même s’il en faudrait davantage, qui permettent de savoir qui il sont et comment ils s’expriment. Pas besoin de leur donner la parole ». Même si la libération de la parole des femmes violées et ou agressées doivent évidemment continuer, ne devrions-nous pas aussi écouter ceux qui commettent les actes ? Ne sont-ils pas les premiers concernés pour s’expliquer ? Surtout que l’on sait qu’une partie de la reconstruction des victimes passent certes par la justice, mais aussi et surtout par la reconnaissance des faits. 

Pour Alma, même si elle comprend parfaitement que certaines ne souhaitent pas donner de la place aux violeurs dans les médias, ou nulle part ailleurs, elle persiste en disant que « les violeurs [doivent] témoigner » et pense plus que nécessaire « qu’on se questionne davantage sur le rôle de l’éducation, le manque d’apprentissage au respect, au consentement ». 

Un système qui se répète

La lettre de Samuel dit aussi une autre chose. Oui, il est un violeur. Mais sans rentrer dans une quelconque culture de viol que beaucoup clament, Samuel est aussi une victime d’un système. Il écrit : « certains le savent, j’ai été abusé par un pédocriminel pendant deux années durant mon collègue. Il m’a violé, dans les gestes physiques, dans mon innocence mais aussi et surtout dans mon être ». Cela n’excuse aucunement ses actes, mais sa lettre démontre aussi tout un système, un schéma répétitif dictant aux victimes d’agression qu’ils ont plus de risque à devenir à leurs tours agresseurs. 

Enfin, la presse est vouée à nous informer, à nous faire nous questionner et peut-être même à nous révolter. Mais il nous reste toujours le choix de ne pas acheter le journal, de ne pas lire l’article ou de ne pas écouter l’émission. Un journal n’est aucunement un tribunal. Par contre, un journal est beaucoup plus accessible que des écrits féministes. Si la Une de Libération a heurté, elle a pu aussi – peut-être – ouvrir les yeux à d’autres. D’autres violeurs. D’autres Samuel. Ce qui est sûr, c’est que cette Une a créé un débat sur un problème systémique qui doit, plus que jamais, prendre place dans nos sociétés.

Honorine Soto
Honorine Soto
Co-fondatrice, cheffe de rubrique "Politique". Ancienne responsable de la communication de Soixante Pour Cent (2021-2022).

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