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#MeTooMédias : quand la parole se libère

Sous le #MeTooMédias, des centaines de témoignages affluent depuis mardi dernier. Dans le monde médiatique, la parole se libère. Enfin. Et les victimes de violences sexistes et sexuelles s’emparent à leur tour du mouvement #MeToo initié en 2007.

La Une du journal Libération le 9 novembre 2021 © Capture d’écran YouTube

Tout commence en février 2021. Dans le cadre d’une enquête préliminaire visant Patrick Poivre d’Arvor (PPDA), ancien journaliste de TF1, vingt-trois femmes livrent leur témoignage : elles ont été les victimes de violences sexistes et sexuelles de la part de celui qui fut un temps présentateur du 20h. Mais les faits ne datent pas d’hier et sont aujourd’hui prescrits. Et pour ceux qui ne le seraient pas, ils sont insuffisamment qualifiés. En juin dernier, l’affaire est donc classée sans suite par le parquet de Nanterre. Pourtant, le portrait dressé de l’accusé est glaçant : dans le rapport final du policier chargé de l’enquête, il y est décrit comme « un prédateur sexuel abusant de sa notoriété et usant d’un mode opératoire similaire dans l’approche de ses victimes et dans la brutalité de ses actes, commis sans la moindre tentative de séduction, ni la moindre considération envers les femmes qui osaient refuser ses avances ». La réaction du principal intéressé ? Limpide, presque cynique : « Tout ceci, uniquement de l’anonymat, toujours de l’anonymat. Jamais une personne qui ose venir, les yeux dans les yeux, me dire : “Non, ce n’était pas bien.».

« #PPDA Tu croyais quoi ? Que nous n’en serions pas capables ? Les yeux dans les yeux. »

@EmmaDrancourt sur Twitter

Comme pour défier Patrick Poivre d’Arvor, sept femmes le prennent au mot et témoignent à visage découvert dans Libération le 9 novembre 2021, « les yeux dans les yeux » selon le tweet d’Emmanuelle Drancourt. Une huitième femme témoigne, quant à elle, anonymement. À travers une longue enquête, toutes relatent avoir subi de la part de cet homme de 74 ans des faits pouvant relever des qualifications juridiques de viol, d’agression sexuelle ou de harcèlement, et ce sur une période de plus de vingt ans. L’enquête fait grand bruit et ces femmes n’entendent pas en rester là.

« Pour les femmes et les hommes qui souffrent silencieusement dans ce milieu médiatique »

Le lendemain, Emmanuelle Drancourt, l’une des accusatrices, annonce au micro de France Inter la création de #MeTooMédias. L’association entend dépasser le cadre de l’affaire « PPDA » : elle s’adresse à « toutes les femmes et les hommes qui souffrent silencieusement dans ce milieu médiatique ». Il ne s’agit pas de dénoncer un cas d’agression en particulier, mais bien tout un système. Selon Juliette Delage, journaliste à Libération : « Ce qui compte, c’est la mise en abyme de ces comportements systémiques qui touchent toutes les couches de la population ».

L’ambition de l’association ? « Offrir une ombrelle à toutes celles qui ne veulent pas sortir de l’anonymat, mais qui ont besoin de cette sororité ». Elle accompagnera les victimes, d’abord en les écoutant et en recueillant leur témoignage, mais aussi en leur apportant des conseils juridiques, « même à celles et ceux qui ne souhaitent pas forcément porter plainte, ou pas encore ». Un soutien non négligeable lorsque l’on sait que seul 12% des victimes portent plainte, et qu’en moyenne, un viol sur 10 fait l’objet de poursuites judiciaires.

Et si l’association #MeTooMédias n’est pas encore formellement lancée sur les réseaux sociaux, les témoignages affluent déjà par centaines sur Twitter. Il y a celles qui subissent le sexisme ordinaire, celles qui ont été harcelées, agressées, violées, celles qui ont osé parler, et que les rédactions boycottent depuis. L’heure est désormais à la prise de parole, et il faut faire du bruit pour dénoncer et secouer ce monde.

Dans un milieu déjà secoué par l’affaire dite de la « Ligue du LOL » révélée en 2019, une charte « contre le harcèlement et les agissements sexuels » avait été signée par près de 80 groupes de médias. À l’évidence, le chemin à parcourir reste long.

Morgane Jean
Morgane Jean
Co-fondatrice, rédactrice en chef et secrétaire générale (depuis 2022) de Soixante Pour Cent.

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