Back

Justice : pourquoi les avocats sont présents dans les médias ?

Procès du 13-Novembre, attentat de Nice, Brétigny-sur-Orge,… En 2022, la Justice a connu un temps fort. Et dans les médias, les articles se sont multipliés, entre faits divers et chroniques judiciaires, la parole a été donnée à tous les acteurs de la chaîne judiciaire. Parmi eux, les avocats – tant ceux de la défense que ceux des parties civiles – y ont eu la part belle. Mais pourquoi les avocats sont-ils tant présents dans les médias ?

Et les avocats apparurent dans les médias…

En application de l’article 11 du Code de procédure pénale, l’avocat est tenu au secret de l’instruction. Et jusqu’à la fin des années 1960, le principe était celui du silence de l’avocat. Pour parler avec la presse, il fallait l’autorisation du bâtonnier – l’avocat représentant de ses confrères à l’Ordre des avocats. Paul Lombart, ancien avocat décédé en 2017, témoignait : « Quand je me suis inscrit au barreau en 1952, les avocats étaient claquemurés dans une sorte de tour d’ivoire : la publicité, la médiatisation, étaient farouchement prohibes. […] Cela faisait mauvais genre de s’exprimer dans la presse » (Les grands fauves du barreau, Valérie de Senneville et Isabelle Horlans). 

Selon lui, deux procès permettent d’ouvrir petit à petit cette tour d’ivoire. Celui du docteur Petiot, d’abord. Accusé d’une soixantaine de meurtres pendant l’Occupation, il est défendu par Maitre Floriot, un ténor du barreau parisien. Le second, celui de Gaston Dominci, condamné à mort pour un triple meurtre, et défendu par Maitre Pollak. Petit à petit, les avocats s’imposent sur le devant de la scène médiatique et brise ce vernis lisse de la communication judiciaire. 

C’est un décret du 12 juillet 2005 qui vient entériner la relation entre les médias et les avocats. Désormais, et selon l’article 15 de ce-dit décret, ces derniers sont expressément autorisés à s’exprimer dans les médias, à rendre public une affaire. Cependant, cette communication est strictement encadrée sur le plan déontologique. Elle doit procurer « une information sincère sur la nature des prestations de services proposées et [respecter] les principes essentiels de la profession ». 

Les médias, pour faire peser sa thèse

Selon Maitre Lombart, suscité, « qu’on le veuille ou non, jamais l’opinion publique n’a pesé davantage dans les affaires judiciaires. Dès lors, on ne peut pas assurer la défense si l’on n’a pas les médias de son côté ». Intervenir dans les médias, faire parler de l’affaire dans la presse, c’est un moyen direct et concret de faire vivre médiatiquement son client, de soutenir une thèse en sa faveur, une thèse qui n’est peut-être pas celle de la Justice, celle que l’institution communique, de son côté, dans les médias. 

C’est ce qu’a fait Maitre Stéphane Goldestein, l’avocat de la mère et de la sœur de Xavier Dupont de Ligonnès, principal suspect dans le meurtre de cinq membres de sa famille – sa femme et ses quatre enfants. Quasiment dès le 21 avril 2011, date de la découverte des corps, les médias ne font vivre qu’une seule thèse : celle du père meurtrier. Mais la sœur et la mère du principal suspect restent convaincues : Xavier ne peut pas être le meurtrier, il est l’objet d’un complot. Et c’est pour faire vivre cette thèse que l’avocat s’exprime régulièrement dans les médias depuis plus de dix ans. Au micro de RTL en avril dernier, il confiait ainsi que « Christine [l’une des sœurs de Xavier] est non seulement persuadée que son frère est vivant mais elle est aussi persuadée qu’on ne connaît pas la réalité des constatations techniques matérielles ».

Certes, ces interventions médiatiques n’ont pas de conséquences directes. Aucun procureur de la République ne condamnera un individu sur la base d’un article de presse. Mais, selon Yves Poirmeur, « ces fuites d’informations sélectives et intéressées, qui peuvent avoir pour finalité de déstabiliser le juge d’instruction, qui en suscitent souvent d’autres destinées à en contrecarrer les effets, élargissent la marge de manœuvre des journalistes et leur offre l’occasion de multiplier les scoops. » (Justice et médias, LGDJ).

Intervenir dans les médias, un moyen de se faire un nom

Pour les avocats, intervenir dans les médias présente un avantage d’une tout autre nature : cela lui permet de se faire un nom. L’article 10 de la décision du 12 juillet 2007 portant adoption du règlement intérieur national (RIN) de la profession d’avocat prohibe toute publicité assimilée à du démarchage. Ainsi, l’avocat ne peut pas se faire connaître comme pourrait le faire une enseigne de grande distribution, au travers de prospectus. Il lui faut trouver d’autres moyens pour se faire un nom. 

Et quel meilleur moyen que d’asseoir sa notoriété en exposant ses réussites dans les médias ? Dans la presse locale, nombreux sont les articles consacrés aux chroniques judiciaires. Ce sont eux qui relatent les procès, résument les séances d’une salle d’audience, et mettent en avant le nom de l’avocat qui a su convaincre le Parquet de la thèse de son client. Les lecteurs, qui font confiance à leur journal quotidien, se souviendront du nom de cet avocat dont ils ont lu le succès lorsqu’à leur tour, ils auront besoin d’être défendus. 

Le procès médiatique, comme la créature de Frankenstein, échappe un peu à son créateur

Maitre Gérard Chemla dans Les grands fauves du barreau (Valérie de Senneville et Isabelle Horlans)

Mais, pour l’avocat, intervenir dans les médias n’est pas sans conséquences. Pour Maitre Gérard Chemla, « Le procès médiatique, comme la créature de Frankenstein, échappe un peu à son créateur » (Les grands fauves du barreau). 

Morgane Jean
Morgane Jean
Co-fondatrice, rédactrice en chef et secrétaire générale (depuis 2022) de Soixante Pour Cent.

Ce site web stocke des cookies sur votre ordinateur. Politique de confidentialité