L’actualité a toujours été teintée de mauvaises nouvelles. Mais depuis la pandémie, ce ressentiment s’est accentué chez de nombreux lecteurs. Lassés de cette actualité toujours plus anxiogène, ils seraient nombreux à désormais opter pour un évitement délibéré de l’information. C’est ce que démontre la dernière étude du Reuters Institute for the Study of Journalism publiée le 15 juin dernier.
« J’évite délibérément les choses qui provoquent de l’anxiété chez moi et celles qui peuvent avoir un impact négatif sur ma journée. Je fais en sorte d’éviter de lire les nouvelles sur des morts et des catastrophes ». Si l’on en croit la dernière étude du Reuteurs Institute for the Study of Journalism, le cas de ce sondé britannique de 27 ans serait loin d’être isolé. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : la proportion de la population déclarant éviter activement les informations, de temps en temps ou régulièrement, a explosé. Dans certains pays, comme au Brésil, ils sont désormais 54 %, soit le double d’il y a cinq ans. En France, le phénomène est tout autant sensible : en 2021, 36% de la population évite les informations – contre 33% en 2019 et 29% en 2017.
« Ça tournait en boucle. C’était très angoissant. »
Pour 43% des interrogés, les sujets abordés – aussi importants soient-ils – sont trop répétitifs. Les décomptes mortuaires des premiers mois de la pandémie n’ont pas été sans conséquence. Pour Margot, 22 ans, « Pendant le confinement, on ne voyait plus que ça à la télévision. Et sur nos téléphones, c’était la même chose. On avait des alertes en temps direct pour savoir combien de personnes étaient mortes aujourd’hui. Ça tournait en boucle. C’était très angoissant. ». Le côté angoissant de l’actualité, c’est aussi ce que reprochent de nombreux sondés. Lorsqu’on les interroge sur les raisons qui les poussent à éviter les actualités, ce sont les mêmes réponses qui reviennent en boucle : l’effet négatif que les informations ont sur l’humeur (36 %), l’impression d’être submergé par des flots d’actualités (29 %), la certitude que les médias ne sont pas dignes de confiance (29 %), la crainte de créer des disputes (17 %), le sentiment d’impuissance face à des nouvelles déprimantes (16 %) ou encore la difficulté — surtout pour les jeunes — à se saisir des enjeux de l’actualité (8 %).
Le bilan est alarmant. Pour Nic Newman, auteur principal de l’étude, « Ces résultats représentent un vrai défi pour les industries de l’information : les sujets que les journalistes considèrent comme les plus importants – crises politiques, conflits internationaux ou pandémies – semblent être précisément ceux qui agissent comme un repoussoir sur certaines personnes ».
« Certaines stratégies payantes réussies permettent d’être optimiste »
Mais pour Alice Antheaume, directrice de l’École de Journalisme de Sciences Po et auteure de la page pays du 2021 Digital News Report sur la France, l’espoir est encore de mise. Sur des évènements ponctuels, de grandes ampleurs et très concernant, on observe un regain d’intérêt pour les actualités. La journaliste cite à cet égard l’exemple récent de la crise ukrainienne : « La première allocution télévisée du président Macron sur l’Ukraine, le 2 mars, a attiré plus de 21 millions de personnes, soit 84 % de l’audience télévisée. Les sites d’information ont connu un trafic tout aussi impressionnant autour de l’Ukraine, avec 8 millions de visites sur 20minutes.fr (qui est en tête de notre liste de sources en ligne) le 24 février, premier jour de la guerre, contre une moyenne quotidienne de 3,5 millions. ».
Et les initiatives de certains médias nationaux semblent mettre un coup dans la fourmilière. En développant leur stratégie numérique, ils gagnent une audience nouvelle, et en constante progression. Ainsi, « lemonde.fr est le premier site d’information à dépasser les 400 000 abonnés numériques, tandis que le pure-player numérique Mediapart continue de bien fonctionner avec son modèle de journalisme d’investigation financé par les lecteurs et compte désormais près de 215 000 abonnés numériques. Le Figaro fait état de 400 000 abonnés, dont 250 000 uniquement numériques, soit une augmentation de 20 % depuis 2020. »
Le journalisme de solutions, un pas vers une actualité plus réjouissante
« Le journalisme de solutions s’emploie à analyser et à diffuser la connaissance d’initiatives qui apportent des réponses concrètes, reproductibles, à des problèmes de société, économiques, sociaux, écologiques. »
https://reportersdespoirs.org
Pour redonner l’envie aux lecteurs, d’autres mises sur un nouveau genre de journalisme : le journalisme de solutions. Apparu aux États-Unis dans les années 1990, c’est Reporters d’Espoirs qui l’introduit en France en 2004. L’idée ? Exposer, comme dans n’importe quelle forme de journalisme, une situation de la façon la plus factuelle possible. Mais en y ajoutant une touche de positivité : la « solution », c’est-à-dire une « initiative concrète qui apporte une réponse à un problème de société et dont l’impact est mesurable, qualitativement et quantitativement ». Loin d’être un journalisme de bonnes nouvelles, le journalisme de solutions se veut être un journalisme plus optimiste qui, tout en exposant une situation ou un problème, y apporterait une voie d’évolution positive.
De quoi rendre l’actualité moins angoissante et redonner, peut-être, l’envie de s’informer à toute une civilisation.
Pour consulter l’étude dans son entièreté : Reuteurs Institute Digital News Report 2022