Le dimanche 24 avril sonne le jour d’un nouveau quinquennat. L’occasion pour Soixante Pour Cent de revenir sur cinq ans de relation entre Emmanuel Macron et les médias. Un quinquennat marqué par une politique de communication unique dans laquelle la presse ne savait plus où se situer.
« C’est quoi les appuis qu’il a ? » demandait la journaliste Apolline de Malherbe à Jean Lassalle sur RMC, le 1er avril 2022. Le député répondait alors : « Il a Patrick Drahi, [propriétaire] de RMC, L’Express, Libération. Il a Bernard Arnault, Le Parisien, Les Échos. […] Il a été élu par les médias ». Emmanuel Macron, un potentiel président des médias ? C’est ce que semblait affirmer Jean Lassalle du parti « Résistons » sur le plateau de RMC. Du lancement à sa campagne en 2016 jusqu’au second tour de la présidentielle 2022, Emmanuel Macron n’a ni pratiqué l’omniprésence médiatique comme le faisait Nicolas Sarkozy, ni la proximité avec les journalistes à la François Hollande. Au sein de La République En Marche, la politique de communication est très peu passée par les médias durant ces cinq années. Et pourtant, une relation entre Macron et les médias existe bel et bien.
Récemment, Macron disait vouloir « emmerder » les non-vaccinés contre le Covid-19 dans un article pour Le Parisien, une interview exclusive retransmise le 4 janvier 2022 par quelques journalistes de la rédaction. Deux des journalistes auteurs de l’interview expliquaient que le président réagissait à ce moment-là aux protestations de plusieurs des lecteurs du quotidien qui participaient alors à la discussion et se plaignaient de l’encombrement des urgences par des non-vaccinés. Ces mots, à trois mois du premier tour, illustraient ici le mode de fonctionnement spécial du quinquennat : des formules percutantes, parfois maladroites, alors que le président tente d’élargir ses échanges publics à d’autres interlocuteurs que des journalistes professionnels.
Les médias me traitent, la plupart du temps, assez mal
Emmanuel Macron pour Envoyé spécial – France 2
Les journalistes et le huitième président de la Ve République. Une longue histoire. En 2017, quelques jours avant son élection à la présidentielle, France 2 diffusait un nouveau numéro de son magazine Envoyé spécial, un reportage sur la campagne d’Emmanuel Macron. Un nouvel épisode dans lequel le président n’a pas hésité à critiquer les journalistes : « J’ai fait beaucoup de couvertures parce que je fais vendre, comme une lessive. Les médias me traitent, la plupart du temps, assez mal. Ma grande chance, c’est que les gens ne lisent que très peu les médias. Ils regardent les titres et les couvertures ».
En septembre 2017, un baromètre Pressedd est lancé par le Journal du Dimanche. Il est alors inscrit que le président faisait l’objet de plus de 57 00 articles depuis le 14 mai 2017. Édouard Philippe, anciennement Premier ministre, était alors en deuxième position, mais loin derrière avec 16 707 articles lui étant consacrés.
Bienvenue à l’Élysée
Le 7 mai 2017, Emmanuel Macron devient ainsi président de la Ve République française. Au moment où il dépose bagage dans les bureaux de l’Élysée, une toute nouvelle relation avec la presse s’opère. Le président décide de choisir quels journalistes l’accompagneront pendant son quinquennat, pour toutes sortes de déplacements ou d’événements. Des journalistes étant sélectionnés à l’avance, les rédactions n’ont alors plus le choix comme elles en avaient l’habitude. L’ancien porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, confiait : « Il y a la volonté, notamment dans les déplacements, que le président de la République mais aussi celles et ceux qui l’accompagnent puissent avoir la liberté de déplacement, la liberté d’échange avec les Français. […] La présence de 50 journalistes, d’une dizaine de caméras, nuit un peu au dialogue direct et à l’échange que peut avoir le président de la République avec les Français. Il ne s’agit pas de contrôler, il ne s’agit pas d’imposer. Bien évidemment, je souhaite réaffirmer […] le respect et notre attachement au respect de vos conditions de travail. Et […] j’y veillerai ».
À la suite de cette annonce, Libération publie une tribune scandant qu’« il n’appartient en AUCUN CAS à l’Elysée de choisir ceux d’entre nous qui ont le droit ou non de couvrir un déplacement, quel qu’en soit le thème. […] Ce choix relève des directions des rédactions et des journalistes qui les composent, qu’ils soient permanents ou pigistes, JRI ou reporters, photographes ou dessinateurs ». En parallèle, la presse est évacuée lors du premier conseil des ministres alors qu’elle s’était rassemblée dans la cour de l’Élysée pour accueillir les nouveaux ministres. Cet acte inédit n’aurait été qu’une exception pour les besoins de photographies des membres du gouvernement.
Son entrée en matière ne s’arrête pas là. Emmanuel Macron partage également son projet de déménagement de la salle de presse de l’Élysée en dehors du palais, exprimant de manière indirecte sa volonté de mise à distance avec les journalistes. La presse devait ainsi déménager dans une annexe, rue de l’Élysée, mais la colère des grandes agences de presse semble lui avoir fait renoncer son projet.
Tentatives de rapprochement…
Si les premiers liens avec la presse ne paraissent pas être en la faveur du président, ce dernier tente tout de même de s’en rapprocher. Pendant cinq ans, le président a eu une grande préférence pour les déclarations télévisées – France 2 pour le public, TF1 pour le privé. La gestion de la pandémie sanitaire le prouve : ses interventions officielles étaient bien plus nombreuses que celles de ses homologues étrangers. Des déclarations sans la présence de journalistes, de très longs discours sans se préoccuper du fait que la capacité d’attention d’un téléspectateur dépasse rarement une dizaine de minutes… Et des audiences considérables, à chaque fois. Au final, Macron intervient davantage que ses deux Premiers ministres réunis, Édouard Philippe et Jean Castex.
Le pouvoir est très respectueux quand même, je crois, des médias traditionnels
Myra Frapier-Saab
Dans une étude publiée par Richard Lazareth et Myra Frapier-Saab, L’ère d’Emmanuel Macron, les auteurs et les journalistes interrogés s’accordent pour dire que le président a été « très clément » avec les médias traditionnels – TF1, BFM TV, Mediapat… « Le pouvoir est très respectueux quand même, je crois, des médias traditionnels. On l’a vu récemment avec la partie de catch livrée avec Mediapart et BFM TV. Le président et son équipe n’ont pas non plus reculé devant ce type d’exercice, qui n’est pas non plus confortable » décrypte Myra Frapier-Saab.
À plusieurs reprises, Emmanuel Macron a également tenté de se rapprocher des jeunes. Présence sur YouTube, sur les réseaux sociaux… Le président n’a utilisé que très peu ce genre de médias sauf lorsqu’il a voulu s’adresser à la jeunesse. C’était le cas avec son intervention chez Brut, un média plébiscité par les moins de 25 ans. Macron avait également répondu aux questions de collégiens et lycéens sur Snapchat, le format vertical aux nombreux filtres. Une communication bien loin des traditions. À quelques jours du second tour, Macron a accordé une interview à Booska-P, une chaîne YouTube consacrée à la musique rap et visionnée majoritairement par des jeunes de 18-25 ans.
…Un échec
Des journalistes d’une trentaine de médias s’accordent sur le fait que l’accès à l’information a été restreint sous sa présidence selon Richard Lazareth, co-auteur de l’étude précédemment citée. Myra Frapier-Saab ajoute : « On ne peut pas dire qu’il est dans la censure. En revanche, à l’unanimité des journalistes interrogés, il y a une information beaucoup plus maîtrisée, d’aucuns diraient verrouillée ». Soixante Pour Cent se souvient d’ailleurs d’une couverture de L’Obs critiquant la politique de migration du gouvernement Macron. À la suite de cette publication, l’auteur de la couverture mise en faute, Matthieu Croissandeau, est évincé de la rédaction. Un retour à la loi d’offense au chef de l’État ?
Son service de presse nous a fait savoir que nous n’aurions plus d’interviews de Macron durant le quinquennat
Franck Annase pour L’Opinion
Sous le gouvernement Macron, cinq années de crise. Parmi elles, la crise des gilets jaunes alimentée par les réseaux sociaux et relayée sur les chaînes d’information. Le président ne prend que très peu la parole dans les médias mais davantage lors de rencontres faites pendant ses déplacements : des rencontres sélectionnées selon certains critères et rediffusées à la télévision sans être destinées à la télévision. Ces rencontres représentaient l’intention de Macron de reprendre contact avec les Français sans passer par les médias classiques. Un comportement qu’il n’a cessé de renouveler. Sans oublier des centaines de journalistes invités à des conférences de presse sans qu’ils n’aient le droit de poser des questions. Le président invente alors un nouveau concept : le communiqué de presse lu au micro, sans précisions ni contradictions possibles.
Déjà avant son élection, Emmanuel Macron s’était agacé à plusieurs reprises du nombre de journalistes qui l’entouraient lors de sa campagne. Le 24 mai, au lendemain du premier tour, il avait demandé à son service d’ordre d’interdire à la presse d’entrer dans l’enceinte du Whirlpool où il y rencontrait les salariés. Le patron de SoPress, Franck Annese, racontait dans une interview pour L’Opinion qu’il avait refusé la réécriture par l’Élysée d’une interview du président dans Society : « son service de presse nous a fait savoir que nous n’aurions plus d’interviews de Macron durant le quinquennat ».
Selon l’historien Alexis Lévrier, dans son essai Jupiter et Mercure, le pouvoir présidentiel face à la presse, les rapports adoucis entre Macron et la presse ne sont qu’une « ruse digne de Charles de Gaulle ou François Mitterrand ». L’historien retrace plus de 60 ans de relations entre les présidents de la Ve République et les journalistes, et évoque les changements de comportement de Macron à l’approche de la présidentielle 2022. Une relation qui se veut maintenant moins « jupitérienne » qu’à ses débuts – moins verticale et moins méprisante, mais ce ne serait qu’une « façade » à l’approche de l’élection.