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Election présidentielle : quel traitement médiatique pour les petits candidats ?

Alors que le premier tour de l’élection présidentielle s’est conclu ce dimanche par la victoire d’Emmanuel Macron et de Marine Le Pen, les « petits » candidats ont, sans grande surprise, été évincés. L’occasion de revenir sur le traitement médiatique dont ils ont bénéficié – ou non – tout au long de cette campagne qui s’achève.

Commençons par poser les bases. Qu’est-ce qu’un « petit » candidat ? Pour le Conseil constitutionnel, chargé de valider chacune des candidatures au poste suprême du pays, il n’y a que des candidats. Ni grand, ni petit. Uniquement des candidats. Aucune définition officielle, donc, de ces supposés « petits candidats ». Pourtant, nombreux sont les politiques qui y font référence. S’il est difficile de s’accorder sur une définition unanime du sujet, fondons-nous ici sur la détermination proposée par Fabien Conord et Gilles Richard (Les « petits candidats » aux élections présidentielles sous la Ve République, handicap ou atout pour la démocratie ?). Sont donc qualifiés de « petits » candidats ceux « qui ont obtenu moins de 5 % des suffrages exprimés, seuil de remboursement intégral des frais de campagne ». En 2022, ce sont donc Valérie Pécresse (4,8%), Yannick Jadot (4,6%), Jean Lassalle (3,1%), Fabien Roussel (2,3%), Nicolas Dupont-Aignan (2,1%), Anne Hidalgo (1,8%), Philippe Poutou (0,8%) et Nathalie Arthaud (0,6%).

De l’équité à l’égalité. En France, et comme le rappelle la loi organique du 25 avril 2016, une grande partie du temps de campagne repose sur un principe simple : celui de l’équité de temps de parole. En clair, « tous les candidats déclarés ou présumés doivent être traités de façon équitable en fonction du poids politique » (Roch-Olivier Maistre, président de l’Arcom, au micro de France info). Cette notion de « poids politique » recoupe plusieurs éléments. Selon l’Arcom, il faut ainsi prendre en considération les résultats aux élections précédentes, les sondages ou encore « l’implication dans la campagne », ce qui fait notamment référence à « l’organisation de réunions publiques, la participation à des débats, la désignation d’un mandataire financier ».

Puis, deux semaines avant la date fatidique du premier tour, c’est le principe d’égalité de temps de parole qui entre en vigueur. Dès lors, chacun des candidats, peu importe son poids politique, peu importe les intentions de vote qu’il récolte, devra bénéficier de la même exposition médiatique que ses adversaires. 

Un système jugé inégalitaire par les « petits » candidats

Mais, problème : ce système est largement dénoncé par ceux qui en pâtissent le plus, c’est-à-dire les petits candidats eux-mêmes. Car il peine à les faire exister sur la scène politique française. 

Il y a deux campagnes parallèles : les grands candidats pour qui c’est utile de voter parce qu’ils sont susceptibles d’accéder à l’Élysée, et il y a les petits candidats qui font partie du décor.

Nathalie Arthaud, candidate Lutte ouvrière, en 2017

Alors que les « grands » candidats – les principaux, donc – se bousculent sur les plateaux télévisés, dans les pages des grands journaux nationaux, et ce depuis le début de la campagne, enchaînant interviews, rencontres et bains de foule, il vous faudra chercher avec plus d’attention les passages de Philippe Poutou, Nathalie Arthaud ou encore Nicolas Dupont-Aignan. Évidemment, ils existent. Mais dans le décompte du CSA sur le temps de parole des candidats, ils arrivent loin derrière les candidats des partis traditionnels. Ainsi, le 7 mars dernier, à un peu plus d’un mois du premier tour, Nathalie Arthaud, candidate de Lutte ouvrière, ne cumulait que 8h38 de temps de parole. Là où Emmanuel Macron, candidat déclaré du bout des lèvres depuis peu, atteignait déjà les sommets, avec près de 160 heures d’exposition médiatique. Et les autres « petits candidats » ne réussissaient pas mieux à s’imposer sur le devant de la scène médiatique : Jean Lassalle ne cumulait que 8h01 de temps de parole, alors de Philippe Poutou ne dépassait même pas la barre des 7 heures.

@PhilippePoutou sur Twitter, le 18 mars 2022

En 2017 déjà, Nathalie Arthaud fustigeait le système : « Je suis candidate à l’élection présidentielle, mais pour l’instant je n’existe pas en tant que telle. » Pour la candidate du parti Lutte ouvrière, « Il y a deux campagnes parallèles : les grands candidats pour qui c’est utile de voter parce qu’ils sont susceptibles d’accéder а l’Élysée, et il y a les petits candidats qui font partie du décor, mais ne comptent pas réellement ». Même son de cloche du côté de Nicolas Dupont-Aignan, la même année : « Si je ne suis pas visible et que les Français n’ont pas le choix, à quoi bon faire une élection ? »

Un problème irrésolu malgré le passage à l’égalité de temps de parole

Pour Eric Pecqueur, porte-parole régional du parti Lutte ouvrière, « Même quand c’est la période d’égalité de temps de parole, pour établir l’égalité, c’est une pratique courante de retransmettre des meetings entiers de Lutte ouvrière à minuit ou à une heure du matin sur la chaîne Public Sénat. Sur le plan mathématique, le compte est bon (rires). Mais sur le plan de l’audience médiatique, on en est loin. »

La mobilisation va se faire très tardivement. Ces 15 jours peuvent être suffisants pour qu’ils (les petits candidats) en bénéficient.

Bruno Jeanbart, vice-président de l’institut OpinionWay

Surtout, le passage de la période de l’équité à celle d’égalité entraîne parfois de drôle de conséquences, comme le souligne Philippe Poutou. Pressés, les médias multiplient les invitations de ceux qui sont restés dans l’ombre depuis des mois. À tel point qu’« en l’espace de 48 heures, on a eu plus d’invitations qu’en cinq ans. On est contents qu’on nous propose du temps de parole, mais le contraste est quand même saisissant ». Pour le sociologue Jean-Marie Charon, c’est « un système extrêmement pervers », dans lequel la priorité est « d’abord (de) remplir les cases de manière à tenir les durées exactes ». Mais, malgré tout, Bruno Jeanbart, vice-président de l’institut OpinionWay, n’oublie pas que le principe de stricte égalité « peut avoir des effets pour des candidats moins connus » : « la mobilisation va se faire très tardivement. Ces 15 jours peuvent être suffisants pour qu’ils (les petits candidats) en bénéficient ». 

Un temps d’exposition plus court, une qualité d’exposition moindre ?

Dans son article, l’Observatoire des médias critiquait vivement le traitement de ces petits candidats invités sur des grands plateaux de télévision. Selon les journalistes, ces derniers subissent alors, en vrac, délégitimisation, dépolitisation ou encore mépris. Aujourd’hui, la situation a-t-elle vraiment changé ? « Ah non, pas du tout. D’autant plus qu’il y a un grand bourgeois, Vincent Bolloré, qui a mis en avant lui-même son propre candidat, Eric Zemmour. Quand on regarde le traitement médiatique qui lui est accordé, on voit bien les limites de la démocratie. » selon Eric Pecqueur, sus-cité. En 2017, Philippe Poutou, alors invité sur le plateau de l’émission On n’est pas couché, avait été l’objet d’un fou rire non coupé au montage. Une polémique qui avait suscité une vive solidarité auprès du candidat.

Pour Annasse Kazib, qui a récolté 144 parrainages en 2022, « On est un ‘petit candidat’ parce que le sysème nous force à rester petit ». Ce système ne serait-il pas finalement celui d’un serpent qui se mord la queue ? S’il est trop tôt pour tirer un bilan définitif de la campagne présidentielle de cette année 2022, les enseignements des campagnes précédentes sont déjà particulièrement révélateurs de l’importance des médias dans une campagne, présidentielle qui plus est.

Morgane Jean
Morgane Jean
Co-fondatrice, rédactrice en chef et secrétaire générale (depuis 2022) de Soixante Pour Cent.

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