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Et si Modes et travaux était un journal féministe ?

Avec les Unes sur les astuces pour mincir, il est difficile de s’imaginer un Modes et travaux féministe. Mais derrière l’apparente futilité des tutoriels de broderie et des recettes pour détartrer votre robinet se cache l’appropriation des moyens de production de la femme française au foyer.

The lady’s home journal, 1889. Les journaux destinés aux femmes aux foyers étaient une porte vers le monde extérieur, c’est une part du féminisme

Ne nous trompons pas de sujet. Vous ne trouverez pas une ligne sur Olympe de Gouges et aucun pamphlet de Simone de Beauvoir dans les pages de Modes et travaux. Ce n’est pas un manifeste féministe, il en est même loin. Fondé par un homme, Edouard Boucherit, le magazine ne tombe pas pour autant sous la coupole du patriarcat. Non, c’est une tout autre forme de lutte qui a pu s’organiser à travers ces articles moins innocents qu’ils ne le paraissent. 

Le fondateur s’est vu inspirer l’idée d’un titre qui traiterait des thématiques ménagères par sa mère qui tient une mercerie à Levallois-Perret. Modes et travaux est donc dès le départ créé pour être au service des femmes au foyer pour les aider dans leurs tâches en leur partageant des conseils pratiques. Les astuces et conseils soulagent le poids du travail domestique. Le bimensuel prend de l’ampleur quand Renée Boucherit, la femme d’Edouard, rejoint la rédaction alors que son mari s’occupe de l’administratif. Novateur pour un titre qui date de 1919, à l’heure où les Françaises n’ont ni droit de vote, ni droit de posséder de compte en banque, ni droit de travailler sans l’accord de leur mari.

Si Moulinex libère la femme, le Modes et travaux féministe aussi

Là où le magazine peut se dire féministe, c’est dans la manière dont sa ligne éditoriale très pratique a pu permettre à la femme de s’approprier ses moyens de production. Elle maîtrise mieux ses outils et gagne en efficacité. L’idéologie et la lutte de rue n’ont pas le monopole du féminisme. Comment la femme peut-elle penser sa libération si elle n’en a pas le temps ? Impossible d’envisager un travail extérieur au foyer si la femme étouffe sous les piles de linge. Ces conseils ménagers bimensuels valent alors mieux que tous les essais féministes. Mieux connaître son propre travail dans un monde dans lequel les femmes sont les seules prolétaires du foyer, entourées de leurs capitalistes maris et enfants. Modes et travaux c’est aussi la prise de conscience de son appartenance à une seule classe, celle des femmes.

Modes et travaux est avant tout l’histoire de la femme française

Si Modes et travaux peut être considéré comme un magazine féministe, il l’est presque malgré lui. Il est avant tout l’histoire de la femme française. Les articles portant sur les manières de contenter de toutes les manières son mari transmettent toutes les normes du patriarcat. Mais replaçons-nous dans le contexte, ce sont incontestablement les valeurs en vigueur à cette période. Il ne fait d’ailleurs pas mieux aujourd’hui avec ces Unes sur les régimes miracles pour perdre du poids avant l’été. La longévité du plus vieux titre de presse féminine nous permet de prendre du recul sur sa nature. Il ne serait ni féministe, ni antiféministe. Il n’est que le narrateur de l’histoire de la femme française. Il raconte aussi bien leur quotidien et victoires que leurs stigmates.

Margaux Verdonckt
Margaux Verdonckt
Co-fondatrice, cheffe de rubrique "Écologie" et responsable de la communication de Soixante Pour Cent.

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