La presse agricole spécialisée locale ou nationale est détenue à 60% par le syndicat majoritaire, la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Un monopole qui pose problème dans le traitement médiatique des conséquences du dérèglement climatique, mais pourquoi ?

Il ne reste qu’une très petite partie de la presse agricole indépendante en France, qui pâtit de deux crises : celle du journalisme et celle du milieu agricole. C’est le cas du magazine localier L’Avenir Agricole, dont le dernier numéro est paru en décembre 2020. Indépendant depuis 1944, il ne laisse sur le territoire que l’organe de presse de la « fédé », branche locale de la FNSEA, Agri 53. Pendant ce temps, prospèrent les titres de presse contrôlés par le syndicat pro-agriculture intensive et majoritaire chez les agriculteurs, la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles. Ce syndicat possède des parts dans le journal de référence La France Agricole en plus d’un quasi-monopole de la presse rurale locale avec 55 titres sous son contrôle direct.
Si vous vous demandiez, oui, il y a un Agri “quelque chose” pour presque chaque territoire français. Ils sont directement financés par l’organisation, à hauteur de 75 000€ pour Agri53, délivrés par une des chambres d’agriculture contrôlée par le syndicat.
Le syndicat partage aussi ses informations
Des articles rédigés par les ingénieurs « maison » sont livrés aux rédactions clefs en main pour y être publiés dans le journal. « C’est facile de faire tourner un journal quand on ne paye pas de journalistes, mais qu’on utilise l’expertise des techniciens », ajoute Antoine Humeau pour Reporterre, ancien journaliste de l’Avenir. Normalement, ces informations techniques devraient être accessibles à l’ensemble des agriculteurs. La FNSEA est également soupçonnée d’avoir utilisé des listes d’adresses de la chambre d’agriculture qui a à sa disposition toutes les coordonnées des exploitants du territoire. Des agriculteurs qui n’étaient pas abonnés à Agri53 l’ont tout de même reçu dans leur boîte aux lettres durant les deux premières semaines de décembre 2020. Cette presse sert à faire le relai de son point de vue sur le monde agricole en plus d’être un organe publicitaire.
Raphaël Bélanger, élu à la chambre de l’agriculture pour la confédération paysanne, syndicat opposé à la FNSEA, note dans un article paru dans Reporterre que des exploitants avaient déjà reçu à leur insu des exemplaires d’Agri53 juste avant les élections à la chambre. Les titres ne font pas la part belle à la pluralité des opinions, car comme l’explique une journaliste d’un titre local du groupe : « on relaye toutes les prises de position du syndicat et le compte rendu des réunions de la Chambre d’agriculture. Non, on ne parle pas des autres syndicats, on n’est pas vraiment dans la critique ».
Un monopole de la presse agricole qui contraint le traitement médiatique du dérèglement climatique
L’agriculture intensive soutenue par la FNSEA tend à être le seul mode de production représentée dans la presse spécialisée. Sur la page Facebook d’Agri59, les gros engins agricoles et les plaines de monoculture sont les seuls à être mis en avant. Le danger est d’autant plus présent quand on analyse le traitement médiatique des conséquences du dérèglement climatique sur la production agricole. Il y est presque toujours traité de façon superficielle ou minimisée. Il n’y aurait pas de quoi s’en faire étant donné que la solution réside dans l’ajout de toujours plus d’intrants, c’est-à-dire d’engrais ou de pesticides. Les semences et les pratiques s’adapteront pour maintenir de hauts taux rendements pour ces titres de presse.
Pourtant, problème n’est pas anecdotique. Il faut cinq tonnes de gaz pour synthétiser une tonne d’azote. La rarefaction de ce gaz nécessaire à ces intrants n’est jamais évoquée bien entendu. Les tracteurs ne sont pas poussés par des chevaux. On voit mal des moissonneuses batteuses de plusieurs tonnes peupler les champs d’été sans pétrole. Le modèle d’agriculture intensive repose sur des énergies fossiles abondantes et un climat relativement stable et prévisible. Deux choses sur lesquelles nous ne pouvons plus compter. Pas de quoi affoler la presse spécialisée tenue par le syndicat.