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« The Transgender question » : l’obsession de la BBC

Cela fait désormais plusieurs années que certains médias britanniques, y compris les plus célèbres, sont régulièrement accusés de transphobie par la base militante LGBT. Paradoxe : les rédactions mises en cause ne sont pourtant pas réputées pour être réactionnaires…

Une façade d’un bâtiment de la BBC à Norwich en 2019. © Wikimedia Commons / Sebastiandoe5

We’re being pressured into sex by some trans women. Tout a commencé ce 26 octobre avec un article de Caroline Lowbridge1 publié dans BBC News : le sujet avait tout d’une actualité brûlante puisqu’il traite de l’aversion sexuelle de plusieurs femmes lesbiennes à l’encontre des femmes transgenres. Ces femmes anonymisées ont abordé leur vie sentimentale à travers des anecdotes : selon elles, il y aurait une pression sociale venant du mouvement LGBT les poussant à accepter des rapports sexuels avec des femmes transgenres – dont la plupart ont un pénis. Parmi les femmes interviewées, il y en a une dont le nom a fait couler beaucoup d’encre (numérique), ou plutôt il y en avait une, puisque son témoignage et la mention de son nom ont depuis été retirés de l’article en ligne.

« We’re being pressured into sex by some trans women »

Article de BBC News de Caroline Lowbridge

Il s’agissait de Lily Cade, actrice pornographique lesbienne qui avait refusé de « collaborer » avec une collègue transgenre. Ce qui a scandalisé se trouvait sur son blog personnel : les propos qui y ont été publiés par l’actrice relèvent de l’incitation à la haine et au meurtre envers les femmes transgenres. Comparant leur existence à la théorie complotiste raciste du « Grand Remplacement », elle se proposait de les « exécuter » : « If you left it up to me, I’d execute every last one of them personally ». Elle appelait aussi au lynchage de certaines personnalités féminines trans, comme les sœurs Wachowski, Kaitlyn Jenner et d’autres2.

De nombreux internautes ont réagi avec vigueur contre la BBC, lui reprochant non seulement d’avoir diffusé la parole de Cade – dont la violence n’était pas inconnue, elle avait été accusée de viol par plusieurs femmes – mais bien d’avoir écrit un article complaisant envers une minorité de lesbiennes estimant la présence de personnes transgenres au sein du mouvement de libération homosexuelle comme une menace, un « remplacement » misogyne.

Au nom du féminisme…

« TERF », c’est le nom donné à ces personnes par leurs détracteurs : il signifie Trans Excluding Radical Feminist. Si les personnes dénommées ainsi considèrent qu’il s’agit d’un « slur », autrement dit une insulte digne des pires termes haineux à l’encontre des minorités, il y a dans ce terme un mot qui fait jure : « féministe radicale ». Le féminisme radical est un courant du féminisme qui apparaît dans les années 60 et qui accompagne la « Seconde vague » de l’histoire du féminisme mondial. Alors que la première vague féministe réclamait l’égalité en droits (de vote, de propriété…), le féminisme radical entend abolir la « racine » de la misogynie : à savoir le patriarcat – concept développé par les penseuses de ce mouvement – qui essentialiserait la place de la femme dans la société. C’est le féminisme du MLF, de Monique Wittig et Christine Delphy en France. Aux États-Unis, on nommera également Andrea Dworkin, Gloria Steinem, Bell Hooks (nom de plume de Gloria Jean Watkins) ou Catharine MacKinnon… S’il existe une catégorie de « radfems » s’opposant avec vigueur à ce qu’elles nomment « l’idéologie transgenre », il est également bon de rappeler que ce n’est pas le cas pour tout le mouvement : l’essayiste américaine Andrea Dworkin – icône du féminisme radical – déclarait, dans des termes propres à son époque, que « tout transsexuel a droit à une opération de changement de sexe et la communauté devrait y pourvoir ».3

C’est également au nom des enfants que ces femmes et hommes luttent contre l’inclusion des personnes trans dans la lutte féministe : le site qui est au centre de ce réseau de militants est un forum pour parents nommé Mumsnet.com C’est en 2015 que la section « Droits des Femmes/Féminisme » du forum est née : si on peut retrouver des sujets sur la pornographie et les agressions sexuelles, le sujet de la transidentité prend une place significative dans ce petit espace du forum. On y retrouve beaucoup d’indignation : l’idée que les associations pro-trans « poussent » les enfants à le devenir. Très populaire également, la crainte qu’en exerçant des pressions, ces associations puissent permettre aux femmes transgenres d’utiliser les toilettes des femmes…

Une obsession bien British

C’est au Parlement que la controverse trouve son point de départ puisque ce sont les membres du Parlement qui ont adopté le Gender Recognition Act4 le 25 mai 2004. Cette loi permet aux personnes transgenres de réclamer un « certificat de reconnaissance du genre » (Gender Recognition Certificate). L’officier d’état civil peut délivrer un nouvel acte de naissance après qu’un panel composé de trois juristes et trois médecins a bien vérifié que l’individu remplit les critères de la dysphorie de genre (terme médical de l’Association Américaine de Psychiatrie, sentiment d’inadéquation avec son genre assigné NDLR) et qu’il vive bien depuis au moins deux ans avec cette nouvelle identité de genre. Il faut se rappeler que cette loi, qui est une avancée indéniable pour les personnes transgenres britanniques, reste un compromis : ce processus, complexe et coûteux, écarte une partie des individus concernés qui ne peuvent pas forcément prouver l’existence de leur dysphorie. De plus, il n’est pas possible pour un mineur de changer de genre légalement.

Le gouvernement de Theresa May annonce en 2017 envisager une réforme permettant aux personnes transgenres de transitionner légalement via une déclaration : elles devront plus simplement s’engager à vivre définitivement avec ce nouveau genre. Cette procédure existe déjà chez l’Irlande voisine depuis 2015, et également au Portugal, en Suède, en Norvège, au Danemark ou encore en Argentine… Cette facilitation de la transition légale est réclamée par les Principes de Yogyakarta, texte qui résulte d’une rencontre internationale entre Louise Harbour, alors Haute-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’homme, un ensemble de juristes spécialistes des droits humains et de chercheurs en sciences sociales. Le trente-et-unième principe exige des États qu’ils doivent « offrir un accès à un mécanisme rapide, transparent et accessible pour changer de noms, y compris vers des noms de genre neutre, sur la base du droit des personnes à se déterminer de façon autonome » et « veiller à ce qu’aucun critère d’admissibilité – tels que des interventions médicales ou psychologiques, des diagnostics psycho-médicaux, un âge minimum ou maximum, le statut économique, l’état de santé, le statut marital ou parental, ou tout autre opinion de personnes tierces ne soit exigé comme un prérequis pour changer son nom, son sexe ou son genre légal ».

Une opposition se forme immédiatement contre ce projet de loi de « self identification » : au sein de cet argumentaire se trouve l’idée que les individus profitant de cette potentielle loi pourront changer de genre légalement quand elles le souhaiteront – y compris d’une semaine à l’autre – et que certaines d’entre elles pourraient très bien être des agresseurs sexuels abusant de la loi pour commettre leurs délits. Du côté des défenseurs du projet de loi, c’est aussi de l’indignation que l’on retrouve. En mars 2018, l’icône « TERF » Sheila Jefreys, chercheuse britannique en science politique à Melbourne (Australie), également militante féministe lesbienne, est invitée par la Chambre Basse du Parlement afin d’y prononcer un discours sur le sujet. Elle y a déclaré, entre autres, que les femmes transgenres « occupaient » le corps des femmes d’une manière « parasitaire » : déclaration qui, sans surprise, a fait le tour de l’opinion britannique, y compris les réseaux sociaux.

Des médias sympathiques à la cause « TERF » ?

Dans ce contexte tendu, les médias britanniques se voient dans la ligne de mire des critiques les plus virulentes. C’est au sein même des rédactions que la tension est la plus palpable : à la BBC, nombreux sont les employés qui ont démissionné pour cette raison. C’est ce que révèle un enregistrement d’un entretien organisé par la BBC Pride Network publié le 8 novembre, dans lequel une centaine d’employés du média se sont réunis pour aborder la polémique Lily Cade5 : l’entretien, d’une durée de 30 minutes environ, a été l’occasion pour les employés LGBT de déclarer leurs griefs envers la ligne de leur rédaction. « Je connais environ huit personnes transgenres qui ont quitté leur poste au cours des 12 derniers mois parce qu’elles ne croient plus en l’impartialité de la BBC » a déclaré l’un d’entre eux à Phil Harrold, directeur de cabinet du président de la BBC Tim Davie. La personne qui a publié cet enregistrement sur Vice News était lui-même journaliste pour BBC News : Ben Hunte, correspondant LGBT de la BBC, a rejoint Vice News en septembre de cette année.

« Je connais environ huit personnes transgenres qui ont quitté leur poste au cours des 12 derniers mois parce qu’elles ne croient plus en l’impartialité de la BBC »

Déclaration d’un employé de la BBC au directeur du cabinet du président de la BBC

La BBC a été le média qui a le plus essuyé de critiques concernant leur traitement des questions relatives aux personnes transgenres, ce qui peut s’expliquer par leur volonté de neutralité qui a fait la marque de l’institution bientôt centenaire. C’est au nom de la neutralité que le président Tim Davie a envoyé un mail aux employés en octobre l’année dernière concernant la neutralité sur les réseaux sociaux : parmi ces recommandations, il était recommandé aux journalistes d’éviter de participer aux manifestations à moins d’être sûr que ces dernières ne soient trop « politiques ou controversées ». Si les journalistes peuvent toujours se rendre aux marches des fiertés, « le personnel doit veiller à ne pas donner l’impression de prendre position sur des questions politisées ou contestées » a-t-il précisé. C’est également au nom de l’impartialité que la direction a écrit un communiqué le 10 novembre dernier pour annoncer le retrait du média d’un programme d’inclusion des personnes LGBT+ au sein de l’entreprise organisé par l’association Stonewall6.

Liens complémentaires :

1 We’re being pressured into sex by some trans women’ – BBC News.

2 Lily Cade, platformed by the BBC, calls for ‘lynching’ of trans women (pinknews.co.uk)

3 Dworkin, Andrea (1974). Woman Hating. New York City: E. P. Dutton. p. 175-186.

4 Gender Recognition Act 2004 (legislation.gov.uk)

5 LGBTQ Employees Are Quitting the BBC Because They Say It’s Transphobic (vice.com)

6 La BBC quitte un programme d’inclusion des personnes LGBTQI+ dans l’entreprise (tetu.com)

Ferdinand Chenot
Ferdinand Chenot
Co-fondateur, rédacteur et ancien membre de l'association et chef de rubrique (2021-2022). Carolomacérien de naissance, lillois d'adoption. Licencié d'histoire à Lille. Étudiant à la FLSH de l'UCL. Gardien de la paix, avant tout.

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