Fin janvier, La Croix dévoilait son 35ème Baromètre des médias 2022 réalisé par l’institut Kantar-Onepoint. Chargé de mesurer le niveau de crédibilité que les Français accordent à la radio, la télévision, la presse écrite et à Internet, son constat est sans appel : jamais la confiance envers les médias n’a été aussi faible à la veille d’une élection présidentielle. Retour sur les chiffres d’une défiance inquiétante.
Le constat est sans appel : en 2022, plus aucun média n’obtient une majorité de confiance de la part des Français. Cette défiance est généralisée : parmi eux, seulement 44 % des personnes interrogées estiment « que les médias fournissent des informations fiables et vérifiées ». Aujourd’hui, plus que 49% des interrogés estiment que la radio raconte fidèlement la réalité. En perdant 3 points de crédibilité, ce média qui « caracolait seul en tête depuis le lancement, en 1987 » du Baromètre des Médias retrouve le même niveau de la presse écrite qui, elle, gagne 1 point. Si la confiance dans la télévision progresse elle aussi (44 %, + 2 points), celle envers Internet (24 %, – 4 points) renoue avec ses plus bas niveaux historiques – une tendance qui pourrait s’expliquer par la montée du complotisme et la circulation de fake news sur les réseaux sociaux sur internet, qui « restent malgré tout une source d’information très importante en particulier chez les jeunes ». Pour Guillaume Caline, directeur enjeux publics et opinions chez Kantar Public-Onepoint, « On observe une convergence de la crédibilité entre les médias traditionnels, avec un écart qui se creuse avec Internet ».
Une distanciation avec l’actualité … surtout chez les jeunes
Conséquence directe de cette défiance envers ces quatre supports d’information, une frange de plus en plus importante de la population met « à distance l’actualité ». Seuls six Français sur dix – 62% précisément – déclarent s’intéresser « assez » ou « beaucoup » à l’actualité, un chiffre relativement comparable à 2017, année de la dernière présidentielle. Mais c’est chez les jeunes (18 – 24 ans) que le décrochage est abyssal : alors qu’ils étaient encore 63 % à porter un intérêt à l’actualité, alors qu’ils ne sont plus que 38 % (- 13 points sur un an) cinq ans plus tard.
« C’est trop déprimant, donc maintenant j’arrête de les regarder. Toutes ces mauvaises nouvelles, ça te rajoute une charge mentale et te tire vers le bas. »
Témoignage de Léa à propos de l’angoisse générée par l’actualité pour Slate.fr
Mais alors, comment expliquer cette désaffectation à l’information ? C’est vers les chiffres de la perception du traitement médiatique des thèmes-phares de l’année 2021 qu’il faut se tourner. 68% des 18-24 ans dénoncent une surmédiatisation des actualités anxiogènes, à l’instar de la pandémie de Covid-19 et de la candidature d’Éric Zemmour et, à l’inverse, au manque de médiatisation de sujets jugés importants, notamment le dérèglement climatique et ses conséquences ou encore les violences faites aux femmes. Et c’est compréhensible : pourquoi vouloir s’informer lorsque l’on sait que les gros titres du 20 heures, que les Unes des journaux papiers ne parleront que de catastrophes climatiques, de crise sanitaire ou de la montée des extrêmes ? Peut-on blâmer les jeunes qui refusent d’être assommés de mauvaises nouvelles tout au long de la journée ? Pour Slate.fr, Léa témoigne : « C’est trop déprimant, donc maintenant j’arrête de les regarder. Toutes ces mauvaises nouvelles, ça te rajoute une charge mentale et te tire vers le bas. Tu dois vaincre cette déprime des infos en plus de tout ce qu’il se passe dans ta journée à toi. C’est dur. » Un caractère angoissant que confirme la psychologue et doctorante en neurosciences Anne-Hélène Clair : « Les études montrent que l’exposition aux médias peut être anxiogène. Ce qui est particulièrement difficile à gérer, c’est de voir une information –de nature angoissante– de manière répétée. Il suffit que vous soyez légèrement anxieux pour que cela vous impacte. » Mais doit-on blâmer les médias pour autant ? Pas vraiment. Leur rôle dans notre société est avant tout de se faire un relai de l’actualité nationale et internationale, et s’ils omettaient d’évoquer la guerre en Syrie, les restrictions sanitaires en Chine ou le totalitarisme de la Corée du Nord, il y a fort à parier que cela leur serait reproché de la même façon.
Une exigence d’indépendance mise à mal par Vincent Bolloré ?
Autre enjeu pour les médias à la veille de l’élection présidentielle d’avril prochain : l’indépendance. Selon le Baromètre, 91% des Français estiment important, voire essentiel que les médias soient « indépendants des intérêts et des milieux économiques (et) politiques », et ce dans le cadre du « bon fonctionnement d’une démocratie ». C’est même le cas des 94 % des sondés qui citent la radio comme mode principal d’information. Mais ils ne sont qu’un petit tiers (respectivement 32 et 33 %) à estimer que c’est le cas. Un véritable fossé doit alarmer.
Mais c’est aussi une inquiétude légitime alors que la commission d’enquête du Sénat sur la concentration des médias auditionne depuis mercredi 19 janvier les principaux milliardaires magnats de la presse tels que Vincent Bolloré, Bernard Arnault, Xavier Niel. Les sénateurs en charge du dossier regrettent que « La presse d’information politique et générale se trouve désormais regroupée dans les mains d’un petit nombre d’hommes et de sociétés dont souvent l’activité principale est très éloignée du monde de l’information et de ses principes ». Pour ne citer qu’eux, le groupe Altice de Patrick Drahi est propriétaire de Libération, L’Express, BFM TV, RMC. Xavier Niel, possède Le Monde et ses différentes déclinaisons, ainsi que de nombreux titres de presse régionale. Et on ne cite plus le groupe Vivendi de Vincent Bolloré, propriétaire de Canal +, de CNews, d’Europe 1, du Journal du dimanche, de Paris Match et, plus récemment, du groupe Prisma Médias. Une information dans les mains des grands magnats français à qui l’on reproche d’être aux prises d’enjeux capitalistiques, au détriment de la liberté de la presse et du droit à l’information.
« Il y a une forme de déclaration d’amour au journalisme. Pas nécessairement tel qu’il est pratiqué mais à l’idéal type du journalisme. »
Christophe Foire, directeur général de Reporters sans frontières
Neutralité éditoriale, indépendance et objectivité sont les principales aspirations réclamées par les sondés. « Des demandes légitimes » selon Christophe Deloire, directeur général de Reporters sans frontières Christophe Deloire. « Il y a une forme de déclaration d’amour au journalisme. Pas nécessairement tel qu’il est pratiqué mais à l’idéal type du journalisme. » Un constat partagé à travers le monde puisque selon un sondage Eldeman, 46% des sondés à travers le monde estiment que les médias comme une source de division dans nos sociétés.